Dans une lettre ouverte à Ursula von der Leyen, Manon Aubry, députée européenne et co-Présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen, interpelle la présidente de la Commission européenne au sujet de l’accord de libre-échange UE-Mercosur. Lettre ouverte que j’ai signé.
« Madame la Présidente,
Nous, soussignés députés européens et nationaux, vous écrivons pour vous exhorter à mettre fin aux négociations de l’accord commercial UE-Mercosur. En négociation depuis 1999, cet accord éliminera plus de 90% des droits de douane dans le but de stimuler les flux commerciaux entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, Bolivie). Avec 720 millions d’habitants dans ces deux régions, il s’agit de loin de l’accord le plus important à ce jour en termes de population concernée. Les dommages qu’il entraînera sur les économies locales, l’agriculture, l’environnement et la santé publique seront également sans précédent.
Les agriculteurs paieront un lourd tribut puisqu’ils seront exposés à une concurrence déloyale accrue de la part des exploitations agricoles géantes du Mercosur. Selon la dernière version connue du texte, le Mercosur pourra, entre autres, exporter chaque année vers l’UE des quotas supplémentaires de 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volaille, 25 000 tonnes de porc, 35 000 tonnes de fromage, 190 000 tonnes de sucre et 45 000 tonnes de miel. Ces nouvelles importations à prix réduits viendront s’ajouter aux quotas convenus dans le cadre d’autres accords de libre-échange, exerçant une pression supplémentaire sur les agriculteurs européens qui ont déjà des difficultés à vivre de leur métier.
Cette concurrence déloyale est renforcée par l’écart réglementaire entre les deux régions, les producteurs du Mercosur n’étant pas tenus de respecter les mêmes normes que ceux de l’Union européenne en matière d’utilisation de pesticides, d’OGM et de pratiques d’élevage. Par exemple, près d’un tiers des pesticides utilisés au Brésil sont interdits dans l’UE pour des raisons sanitaires ou environnementales. Jusqu’à présent, la Commission a balayé d’un revers de main les inquiétudes sur de potentiels risques sanitaires en affirmant que tous les produits entrant sur le territoire de l’UE devaient être conformes aux normes européennes. Néanmoins, l’accord promeut en réalité des contrôles aux frontières moins rigoureux et moins fréquents sur les marchandises importées, ce qui rend de facto impossible de soutenir de telles affirmations.
Par ailleurs, la logique d’importer une part toujours plus importante de notre alimentation depuis l’autre bout du monde est en elle-même hautement problématique. Non seulement cela perturbera l’agriculture paysanne des deux côtés de l’Atlantique, mais cela rend également l’UE plus dépendante des chaînes d’approvisionnement mondialisées pour répondre aux besoins fondamentaux de sa population. Il est clair que l’UE devrait plutôt donner la priorité à la relocalisation de son agriculture et de sa production alimentaire.
En outre, l’accord est fondamentalement en contradiction avec tous les engagements de l’UE en matière de climat, de biodiversité et de protection de l’environnement. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’agriculture est responsable de 22% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). L’accord encouragera précisément les productions agricoles fortement émettrices de GES, comme l’élevage, et développera les monocultures qui jouent un rôle majeur dans la déforestation, comme la canne à sucre pour fabriquer de l’éthanol que l’UE importera à hauteur de 650 000 tonnes supplémentaires par an.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la région amazonienne est confrontée à des incendies d’une ampleur inédite depuis des décennies. Depuis le début de l’année, une forêt de la taille de la Biélorussie a déjà été réduite en cendres. Or, les données scientifiques montrent clairement que ces incendies sont exacerbés par la déforestation intensive et le changement d’affectation des sols, principalement causés par l’agro-industrie. Malgré cela, la Commission a décidé de reporter d’un an la mise en œuvre du règlement européen sur la déforestation. En outre, les émissions de gaz à effet de serre dérivées du transport international par cargos, avions et camions augmenteront intrinsèquement en raison de l’accroissement des flux commerciaux.
Enfin, la signature de l’accord UE-Mercosur est un coup majeur porté à la démocratie. La Commission et les États membres avaient jugé impossible de signer l’accord tant que l’ancien président brésilien d’extrême droite et climatosceptique Jair Bolsonaro était au pouvoir. Cependant, ils sont maintenant prêts à approuver le même accord sous le mandat du président argentin Xavier Milei, dont le bilan en matière de démocratie, de droits de l’homme et de protection de l’environnement depuis son élection est tout aussi problématique.
En outre, un déficit démocratique persistant a été constaté tout au long des négociations, dont le contenu a été largement dissimulé aux citoyens, aux organisations de la société civile et aux membres du Parlement européen. À ce jour, aucun texte complet et actualisé de l’accord n’a été rendu public, et les versions précédentes n’ont été disponibles qu’il y a plusieurs années grâce à des fuites provoquées par les ONG. En tant que représentants élus, nous ne pouvons accepter ni l’érosion de notre rôle dans le contrôle démocratique ni l’exclusion des citoyens d’une décision aussi importante. Il est également de notoriété publique que la Commission envisage de séparer la partie commerciale de l’accord de la partie politique afin de modifier le processus de ratification et de contourner la ratification par les parlements nationaux. Ce déficit démocratique est d’autant plus choquant que les conséquences sociales et écologiques de l’accord sont considérables.
L’accord entre l’Union européenne et le Mercosur est un désastre d’un point de vue social, écologique, sanitaire et démocratique. Il est encore temps pour la Commission européenne de le reconnaître et de rechercher d’autres formes de coopération commerciale avec les pays du Mercosur. Nous vous demandons donc de renoncer sans plus tarder à la conclusion de cet accord.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de nos salutations distinguées. »
Liste des signataires :
Manon Aubry, députée européenne – France
Nadège Abomangoli, députée – France
Laurent Alexandre, député – France
Fèlix Alonso, député – Espagne
Gabriel Amard, député – France
Ségolène Amiot, députée – France
Farida Amrani, députée – France
Li Andersson, députée européenne – Finlande
Rodrigo Arenas, député – France
Raphaël Arnault, député – France
Pernando Barrena Arza, député européen – Espagne
Ione Belarra, Urteaga députée – Espagne
Anaïs Belouassa-Cherifi, députée – France
Ugo Bernalicis, député – France
Christophe Bex, député – France
Manuel Bompard, député – France
Marc Botenga, député européen – Belgique
Idir Boumertit, député – France
Louis Boyard, député – France
Lynn Boylan, députée européenne – Irlande
Saskia Bricmont, députée européenne – Belgique
Pierre-Yves Cadalen, député – France
Mélissa Camara, députée européenne – France
Damien Carême, député européen – France
Aymeric Caron, député – France
Sylvain Carrière, député – France
Gabrielle Cathala, députée – France
Bérenger Cernon, député – France
Estelle Ceulemans, députée européenne – Belgique
Leila Chaibi, députée européenne – France
Sophia Chikirou, députée – France
Per Clausen, député européen – Danemark
Hadrien Clouet, député – France
Éric Coquerel, député – France
Jean-François Coulomme, député – France
Sébastien Delogu, député – France
Özlem Demirel, députée européenne – Allemagne
Aly Diouara, député – France
Alma Dufour, députée – France
Karen Erodi, députée – France
Sebastian Everding, député européen – Allemagne
Mathilde Feld, députée – France
Emmanuel Fernandes, député – France
Sylvie Ferrer, députée – France
Fabian Figueiredo, député – Portugal
Luke Ming Flanagan, député européen – Irlande
Emma Fourreau, députée européenne – France
Kathleen Funchion, députée européenne – Irlande
Perceval Gaillard, député – France
Estrella Galán, députée européenne – Espagne
Paul Gavan, Sénateur – Irlande
Hanna Gedin, députée européenne – Suède
Nahuel González, député – Espagne
Cristina Guarda, députée européenne – Italie
Clémence Guetté, députée – France
David Guiraud, député – France
Zahia Hamdane, députée – France
Rima Hassan, députée européenne – France
Anja Hazekamp, députée européenne – Pays-Bas
Alice-Mary Higgins, Sénatrice – Irlande
Mathilde Hignet, députée – France
Rudi Kennes, député européen – Belgique
Martin Kenny, député – Irlande
Andy Kerbrat, député – France
Maciej Konieczny, député – Pologne
Bastien Lachaud, député – France
Abdelkader Lahmar, député – France
Maxime Laisney, député – France
Aurélien Le Coq, député – France
Javier Sánchez Serna, député – Espagne
Arnaud Le Gall, député – France
Antoine Léaument, député – France
Élise Leboucher, députée – France
Jérôme Legavre, député – France
Sarah Legrain, députée – France
Claire Lejeune, députée – France
Murielle Lepvraud, députée – France
Mimmo Lucano, député européen – Italie
Trine Pertou Mach, députée – Danemark
Carlos Martens Bilongo, député – France
Élisa Martin, députée – France
Catarina Martins, députée européenne – Portugal
Marisa Matias, députée – Portugal
Damien Maudet, député – France
Marianne Maximi, députée – France
Michael Mcnamara, député européen – Irlande
Marie Mesmeur, députée – France
Marina Mesure, députée européenne – France
Tilly Metz, députée européenne – Luxembourg
Manon Meunier, députée – France
Ana Miranda Paz, députée européenne – Espagne
Irene Montero, députée européenne – Espagne
Carolina Morace, députée européenne – Italie
Ciaran Mullooly, député européen – Irlande
Jean-Philippe Nilor, député – France
Maria Noichl, députée européenne – Allemagne
Sandrine Nosbé, députée – France
Danièle Obono, député – France
João Oliveira, député européen – Portugal
Louise O’Reilly, députée – Irlande
Nathalie Oziol, députée – France
Mathilde Panot, députée – France
Gaetano Pedulla’, député européen – Italie
René Pilato, député – France
François Piquemal, député – France
Thomas Portes, député – France
Loïc Prud’Homme, député – France
Jean-Hugues Ratenon, député – France
Engracia Rivera, députée – Espagne
Arash Saeidi, député européen – France
Arnaud Saint-Martin, député – France
Aurélien Saintoul, député – France
Enrique Santiago, député – Espagne
Mounir Satouri, député européen – France
Madjouline Sbai, députée européenne – France
Martin Schirdewan, député européen – Allemagne
Isabel Serra, députée européenne – Espagne
Francisco Sierra, député – Espagne
Christine Singer, députée européenne – Allemagne
Jonas Sjöstedt, député européen – Suède
Anthony Smith, député européen – France
Søren Søndergaard, député – Danemark
Ersilia Soudais, députée – France
Anne Stambach-Terrenoir, députée – France
Marta Stożek, députée – Pologne
Aurélien Taché, député – France
Dario Tamburrano, député européen – Italie
Andrée Taurinya, députée – France
Matthias Tavel, député – France
Christine Teunissen, députée – Pays-Bas
Marie Toussaint, députée européenne – France
Aurélie Trouvé, députée – France
Toni Valero, député – Espagne
Paul Vannier, député – France
Catarina Vieira, députée européenne – Pays-Bas
Adrian Zandberg, député – Pologne
Marcelina Zawisza, députée – Pologne
Lettre ouverte publiée sur La Tribune.fr le 16 Novembre 2024