Retrouvez ma contribution à la consultation publique sur l’avenant n°1 au CPER Nouvelle-Aquitaine – volet mobilités
Les mobilités ne peuvent plus être pensées comme un simple levier d’aménagement du territoire ou de développement économique. Elles doivent être au cœur d’une transition écologique et sociale ambitieuse. Il est urgent de sortir du tout-voiture, de réduire les inégalités d’accès aux transports, et garantir à chacun un droit effectif à la mobilité, partout sur le territoire. Cela implique de planifier démocratiquement les investissements publics, en les orientant vers des modes de transport décarbonés, collectifs, accessibles et durables.
Ce CPER – qui engage près de 1,6 milliard d’euros – aurait pu être un levier puissant pour transformer en profondeur notre système de mobilités. Malheureusement, il reconduit pour l’essentiel les logiques du passé : grandes infrastructures coûteuses, gouvernance technocratique, absence de projection carbone, et faible prise en compte des inégalités sociales et territoriales. Dans cette contribution, je formule un ensemble de remarques critiques mais constructives, appuyées sur les principes qui fondent la politique de mobilités de la France Insoumise: planification écologique, égalité d’accès, relocalisation des besoins, efficacité budgétaire et sobriété énergétique.
1. Gouvernance des mobilités
Le point 3.1 sur la gouvernance des mobilités révèle une approche excessivement centralisée et peu coopérative. La Région a œuvré de manière explicite pour éviter que les communautés de communes (CDC) n’accèdent à des compétences en matière de mobilité, limitant ainsi leur capacité d’action, alors même qu’elles sont les mieux placées, avec les communes, pour appréhender les réalités locales et les besoins spécifiques de leurs administrés. Cette gouvernance descendante, marquée par une logique technocratique, est en décalage avec les enjeux contemporains qui nécessitent de la subsidiarité, de la proximité, et de la réactivité. L’archaïsme de cette organisation freine le déploiement de solutions adaptées aux territoires ruraux et périurbains, comme ceux de l’est girondin, qui subissent de plein fouet une précarité énergétique croissante liée à la mobilité
2. Dépenses prévues pour les SERM
Le tableau page 19 relatif aux dépenses prévues pour les SERM (Services Express Régionaux Métropolitains) soulève plusieurs inquiétudes. En Gironde, le RER métropolitain, censé faire passer la fréquentation de 25 000 à 50 000 passagers par jour, mobilise des sommes considérables pour une efficacité douteuse : cela représenterait environ 0,5 % des 4 millions de déplacements motorisés quotidiens dans le département. Une telle politique est coûteuse et inefficiente, particulièrement si l’on considère qu’elle ne s’accompagne d’aucune stratégie de réduction des coûts ni d’évaluation rigoureuse de l’impact modal.
Il est urgent de redéployer les investissements vers des solutions plus souples, agiles et économiquement soutenables : développement de voies réservées au covoiturage, aménagement de lignes de cars express, déploiement de solutions de ferroviaire léger (trams-trains). De nombreux exemples européens – S-Bahn allemands, réseaux suisses et néerlandais, tram-trains lyonnais, nantais et mulhousiens – démontrent la pertinence de ces alternatives. Il est regrettable qu’aucun projet de ce type ne soit intégré à ce CPER.
Il convient aussi de souligner l’absence de toute mention d’une liaison structurante entre Pau et Tarbes, qui pourrait constituer un axe ferroviaire régional majeur – un « RER du Piémont pyrénéen » – resté ignoré faute de coordination entre les Régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie.
3. Réseau ferroviaire structurant
À ce stade, aucun commentaire critique particulier : les budgets affectés au réseau ferroviaire structurant paraissent cohérents et raisonnables. Il conviendra toutefois d’en suivre l’exécution avec attention, en exigeant des indicateurs clairs de fréquentation et d’impact environnemental.
4. Dessertes fines des territoires
Les projets de desserte fine, tels que la modernisation de la voie du Médoc, sont à saluer. Il s’agit d’initiatives ciblées, à coût modéré, qui peuvent considérablement améliorer la desserte des territoires isolés. Ce type d’investissement de proximité devrait être amplifié dans l’avenant.
5. Opérations de fret ferroviaire
Les orientations en faveur du fret ferroviaire sont également positives. Toutefois, il faut souligner la contradiction profonde entre ces ambitions et le projet de GPSO, qui a d’ores et déjà entraîné la suppression d’une voie fret en gare de Bordeaux, ainsi que d’une voie d’entrée et de sortie de la zone de triage de Hourcade. Cette mise en concurrence entre grande vitesse et fret est totalement inacceptable : elle compromet la relance indispensable du fret ferroviaire. C’est l’une des raisons majeures de notre opposition au projet GPSO.
6. Opérations routières
Les déviations des RN 141 à 136 M€ et RN 147 à 125 M€, tout comme la déviation de Fargues (pensée comme une mini-autoroute flanquée de zones commerciales), sont des projets d’un autre temps. Ils reposent sur une logique dépassée de développement autoroutier et d’artificialisation des sols. Ces financements devraient être réorientés vers des solutions de mobilité durable et de désenclavement intelligentes.
7. Aménagements cyclables
Nous saluons l’intégration, pour la première fois, d’un volet cyclable dans le CPER. Cependant, la part des financements qui y est allouée reste très insuffisante au regard des objectifs de décarbonation d’ici 2027. Il est incohérent de prétendre accélérer la transition écologique tout en consacrant une part marginale aux mobilités actives. Ce déséquilibre doit être corrigé.
8. Avis de l’Autorité environnementale
L’avis de l’Autorité environnementale est sévère, mais lucide. Il pointe le manque total de projection sur l’efficacité réelle des mesures. Les documents produits par la Région et l’État n’intègrent ni trajectoire carbone ni étude sérieuse d’impact social ou modal. L’évaluation environnementale se contente d’un exposé descriptif sans prise de recul, ni propositions de mesures d’évitement, de réduction ou de compensation (ERC).
Cette évaluation ne permet donc d’éclairer ni le public ni les maîtres d’ouvrage sur la pertinence réelle des projets, et reste déconnectée des politiques de mobilité des grandes métropoles. Le mémoire en réponse à ces critiques, produit par la Région, est d’une vacuité désarmante : il ne contient quasiment aucune donnée sérieuse sur les fréquentations attendues, ce qui témoigne d’une absence de pilotage stratégique.
9. Remarques globales
Le site Diagnostic Mobilité (https://diagnostic-mobilite.fr/app/) montre très clairement que l’est de la Gironde constitue une vaste zone de précarité énergétique liée à la mobilité. L’absence de transports collectifs adaptés y condamne les habitants à l’usage exclusif de la voiture. Or, aucune mesure de court terme ne figure dans le CPER pour remédier à cette situation.
Plus globalement, il est extrêmement préoccupant de constater qu’un plan de 1,6 milliard d’euros puisse être adopté sans la moindre quantification de son impact sur :
- le report modal réel,
- les émissions de gaz à effet de serre,
- la réduction des inégalités d’accès à la mobilité.
Dans d’autres régions du monde – au Maroc, en Amérique latine, en Afrique, en Asie – les bailleurs de fonds exigent une rigueur bien supérieure avant de financer de tels projets. La Banque mondiale, par exemple, n’aurait jamais validé un tel dossier sans preuves de concertation, de prise en compte des enjeux sociaux, d’analyse de fréquentation, et de compatibilité avec les objectifs de l’Accord de Paris. La France doit faire preuve de la même exigence.
10. Propositions de modifications de l’avenant au CPER
Face à ces constats, il est impératif de réorienter les priorités vers :
- La réponse aux besoins réels des territoires en améliorant la fiabilité, la capacité et la fréquence des axes structurants pour le Sud Gironde (en particulier la ligne Bordeaux-Langon-Agen) ;
- Le déploiement de trains plus capacitaires en permettant la circulation de trains à deux rames quand cela est nécessaire (nécessité d’allongement des quais de certaines gares sur la ligne Bordeaux-Langon) ;
- La modernisation et la rénovation des lignes déjà existantes (Bordeaux – Toulouse, Bordeaux – Dax, Bordeaux – Mont-de-Marsan) ;
- Le développement du train de nuit ;
- L’augmentation de la capacité du fret ;
- La création de voies réservées au covoiturage et aux bus express sur les grands axes ;
- Une tarification sociale différenciée au bénéfice des ménages modestes ;
- Le développement de hubs de mobilités (arrêts de bus express ou gares + parkings covoiturage + pistes cyclables + vélos en libre-service + services de proximité), en lien avec Nouvelle-Aquitaine Mobilités ;
- Des études de solutions ferroviaires légères, en lien avec Bordeaux Métropole ;
- L’étude d’un schéma girondin de trams-trains, bien moins coûteux en investissement et en fonctionnement que le ferroviaire lourd ;
- La relance et le soutien financier par la Région du transport d’utilité sociale.
Concernant la 12ᵉ circonscription de la Gironde, nous proposons entre autres :
- Le prolongement du tram jusqu’à Auchan Bouliac pour permettre un rabattement depuis la RD10 ;
- Une extension en voie unique jusqu’à Fargues, à l’image du tram de Blanquefort ;
- Un renforcement des cadencements sur les lignes de bus desservant des communes particulièrement enclavées (ex : ligne 473 Bordeaux- Sauveterre, par Targon) en particulier sur les créneaux du midi et de fin de journée.
- La mise en place d’un système de navettes reliant Sauveterre-de-Guyenne, Monségur, Pellegrue, Blasimon et d’autres communes de l’entre-deux-mers aux gares de passage du futur SERM (Langon, Libourne…) afin de désenclaver des territoires économiquement défavorisés et durement touchés par la crise agricole
Conclusion
La transition écologique ne se décrète pas : elle se planifie, se construit, et se partage avec les citoyens. En matière de mobilités, cela signifie de rompre avec les logiques libérales et productivistes qui ont conduit à l’éclatement des territoires, à la dépendance à la voiture individuelle, à la désertification ferroviaire et à l’asphyxie des centres urbains.
Le CPER Nouvelle-Aquitaine, tel qu’il est proposé, passe à côté de cet enjeu historique. Il reste prisonnier d’une vision centralisée et technocratique de l’aménagement, appuyée sur des choix d’investissements inefficaces et mal ciblés. Il ignore les besoins des territoires périurbains et ruraux, où vivent des millions de personnes assignées à la précarité énergétique, faute de solutions de transports collectifs adaptées. Il néglige aussi les urgences climatiques, en l’absence de toute trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Face à cela, nous portons une autre vision de la mobilité, fondée sur la planification écologique et la justice sociale :
- Un service public unifié des transports, accessible à tous, pensé comme un bien commun ;
- Une relance massive du ferroviaire léger, des trains du quotidien, des transports express en site propre et du fret ;
- Une mobilité inclusive, pensée pour les personnes âgées, les jeunes, les zones rurales, les personnes en situation de handicap ;
- Une priorité aux mobilités actives (marche, vélo), qui doivent être dotées de moyens à la hauteur des ambitions ;
- Une tarification sociale et écologique pour rendre les transports publics réellement attractifs ;
- Une démocratie des mobilités, où les choix ne sont plus faits par en haut mais construits avec les habitant·es, les élu·es locaux, les syndicats, les associations.
Nous demandons donc une révision en profondeur de cet avenant, afin que les fonds publics soient utilisés pour améliorer réellement la vie quotidienne des habitants et répondre à l’urgence écologique. Il est temps de mettre en œuvre une politique de mobilités qui respecte à la fois les territoires, les personnes et la planète.
Le Contrat de Plan État-Région 2021-2027
Après approbation en séance plénière le 21 mars 2022 par les élus régionaux, le nouveau contrat de Plan État Région (CPER) 2021-2027 a été signé le 10 juillet 2023 par le préfet de Région, Etienne Guyot et le Président de la Région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset. Ce Contrat de Plan doit concourir au développement économique et à un aménagement durable et équilibré du territoire