Un rapport permettant d’évaluer l’état de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale
Cet été, j’étais nommée co-rapporteure spéciale pour la lutte contre l’évasion fiscale avec Nicolas Sansu.
A ce titre, j’ai travaillé à l’élaboration d’un rapport permettant d’évaluer l’état de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, dans l’objectif de comprendre ce qui nous fait défaut aujourd’hui, pour demain parvenir à récupérer les 100 milliards qui manquent à nos recettes chaque année à cause de ce fléau.
Retrouvez la conférence de presse
En compagnie de Nicolas Sansu, Eric Coquerel et Charlotte Leduc.
On évalue à 100 milliards le coût de la fraude et de l’évasion fiscales chaque année.
En septembre et octobre 2024, j’ai auditionné des économistes, des sociologues, les syndicats des finances publiques, l’association ATTAC, ainsi que le directeur de Tracfin et celui du contrôle fiscal au sein de la DGFIP.
Qu’est-ce que l’évasion fiscale ?
L’évasion fiscale est un concept difficile à définir, car elle se situe dans une « zone grise » entre l’optimisation fiscale et la fraude fiscale.
L’optimisation fiscale consiste à choisir, parmi les possibilités offertes par la loi, celle qui apparaît la moins onéreuse.
Tandis que la fraude fiscale est une violation délibérée de la règlementation fiscale. Il peut s’agir, par exemple d’une omission intentionnelle dans les obligations déclaratives, voire d’une tentative de dissimulation de tout ou partie des sommes assujetties à l’impôt.
La définition qui en est donnée par Tracfin ou la Cour des comptes relève bien cette ambiguïté : « l’évasion fiscale qualifie l’ensemble des opérations destinées à réduire le montant des prélèvements dont le contribuable doit normalement s’acquitter, et dont la régularité est incertaine. ». Elle consiste à tirer parti des subtilités de notre système fiscal ou des incohérences entre les systèmes de pays différents avec pour unique but de réduire l’impôt à payer
Les auditions
Liste des personnes et organisations que j’ai auditionnées pour réaliser le rapport :
ONG :
Vincent Drezet et Ophélie Gath, ATTAC
Economistes :
Quentin Parrinello, directeur politiques publiques à l’Observatoire européen de la fiscalité
Eric Vernier, chercheur, directeur général de l’ISCID-CO
Sociologues :
Camille Herlin-Giret, chargée de recherche au CNRS, rattachée au Centre de recherches administratives, politiques et sociales de l’Université de Lille
Direction Générale des Finances Publiques (ou DGFIP) :
- Table ronde avec les représentants des syndicats des finances publiques (CGT, Solidaires, FO)
- Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF)
Tracfin :
Antoine Magnant (Directeur, et ex-directeur général adjoint de la DGFiP)
Qu’est-ce que « Tracfin » ?
Tracfin est l’un des six services spécialisés de renseignement de la communauté française
du renseignement (art. R811-1 du code de la sécurité intérieur).
Les trois missions prioritaires de Tracfin sont :
1. La lutte contre la criminalité économique et financière (notamment le blanchiment d’argent)
2. La lutte contre la fraude aux finances publiques ;
3. La défense des intérêts fondamentaux de la Nation (notamment la lutte contre le financement du terrorisme)
Les constats suite aux auditions
Il est ressorti de ces auditions les constats suivants :
1. La fraude et l’évasion fiscales sont principalement réalisées par les grandes entreprises et les 1% les plus riches. La conséquence, c’est que les milliardaires ont un taux moyen d’imposition plus faible que tout le reste de la population ! *** Cela conduit à une augmentation insupportable des inégalités et réduit le consentement à l’impôt.
2. Notre administration fiscale et notre législation ont été trop affaiblies depuis maintenant 7 ans. Elles ne sont plus en mesure de lutter efficacement contre l’évasion fiscale. Par exemple, 30 000 postes ont été supprimés à la DGFIP, l’administration qui réalise le contrôle fiscal, depuis les années 2000 !
3. Si les milliardaires et les grandes entreprises parviennent à ne pas payer l’impôt qu’ils nous doivent, c’est que les gouvernements successifs n’ont pas fait preuve d’une assez grande volonté politique pour combattre ce phénomène. Les plans de Darmanin (2018) et Attal (2023) pour lutter contre la fraude et l’évasion ne sont que des plans de communication.
Les milliardaires ont un taux d’imposition moyen… plus faible que les 10% les plus pauvres dans notre pays ! Pour bien comprendre ce graphique, il faut se souvenir que même si les plus pauvres ne paient pas d’impôts sur le revenu, ils payent néanmoins d’autres prélèvements obligatoires (CSG, cotisations…).
Les recommandations formulées
Sur la base de ces constats, j’ai pu formuler des recommandations et déposer ou soutenir des amendements permettant de mieux lutter contre l’évasion fiscale :
1.
Il est indispensable de renforcer les effectifs de notre administration fiscale, pour que nous ayons la capacité de réaliser des contrôles sur les plus grands groupes et les 1% des français les plus riches.
Dans cet objectif, j’ai défendu les amendements suivants à l’Assemblée :
⟶ Maintenir les 550 postes que le gouvernement souhaitait supprimer à la DGFIP (amendement 1204)
⟶ Mettre en œuvre un plan de recrutement de 4000 agents supplémentaires dans le contrôle fiscal (amendement 1834)
⟶ Renforcer la formation des agents de la DGFIP (amendement 1216)
2.
Nous devons renforcer notre législation, pour lutter en amont contre les mécanismes d’évasion fiscale.
Dans cet objectif, j’ai défendu les amendements suivants à l’Assemblée :
⟶ Mettre en place un impôt minimum adossé sur le patrimoine (amendements 1764)
L’objectif de cet amendement était de s’assurer que l’ensemble des impôts payés par les multimillionnaires correspondait à au moins 2% de leur patrimoine. Il a malheureusement été rejeté à cause du Rassemblement national (Résultat du scrutin)
⟶ Instaurer une taxe « Zucman » sur les milliardaires (amendement 1865)
Cette taxe Zucman a été adoptée en séance à l’Assemblée nationale, et fixe un taux d’imposition de 2% sur les patrimoines dépassant 1 milliard d’euros. Au-delà de s’assurer que les milliardaires contribuent réellement au financement de nos services publics, elle permettra de créer 13,6 milliards de recettes supplémentaires !
⟶ Taxer les revenus versés aux holdings pour éviter l’impôt, et en luttant contre les phénomènes d’arbitrage des dividendes (Cumcum et Cumex). (amendement 1547)
⟶ Mettre en place une véritable mesure annualisée de l’évasion fiscale en France, comme il en existe chez nos voisins européens. (amendement 1201)
Et amendement 1208 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0324C/CION_FIN/CF1208
Vous pouvez accéder au replay de la discussion budgétaire en commission des finances sur ce sujet :
Visionner directement sur le site de l’assemblée
A lire dans la presse :
Humanite.fr « Évasion fiscale : à l’Assemblée, le gouvernement invité à ne pas laisser filer l’argent des riches «
LCP – « L’évasion fiscale abîme considérablement le consentement à l’impôt », écrivent deux députés du NFP dans un rapport parlementaire »
Observatoire de la justice fiscale – « Évasion fiscale : la commission des finances de l’Assemblée nationale sonne l’alerte »